Cunfarenza : Portu Novu, Carbonite : INNÒ
« Nous sommes au bord du gouffre : faisons un grand pas en avant. »
C’est ainsi que l’on pourrait résumer la précipitation actuelle à relancer de nouvelles études encore très coûteuses pour un nouveau port, à peine sortis du confinement et passé l’épilogue des Municipales bastiaises.
Au bord du gouffre, c’est la situation de l’économie corse. La crise du Covid a souligné à quel point notre île s’est installée dans la dépendance : rayons de supermarchés à moitié vide durant le confinement, hâte à se rouvrir sans contrôle aux touristes pour tenter de limiter la catastrophe, controverses autour d’un pilotage arbitraire de la crise, sur fond d’arrêtés préfectoraux dont la pertinence est de plus en plus contestée par les acteurs de santé eux mêmes.
Dans ce contexte, il paraît saugrenu, voire irresponsable, d’afficher cette priorité : ouvrir un port supplémentaire à Bastia; pour renforcer les flux actuels, et accroître cette dépendance ? L’exécutif de la CdC, ainsi que la municipalité bastiaise seraient bien inspirés de rectifier le tir pendant qu’il est encore temps.
Une gabegie
Cela fait plus de dix ans que nous le disons : un quatrième port à Bastia est une gabegie. Qu’il s’appelle “Port de la Carbonite” ou “Portu Novu”, le coût de cet investissement sera faramineux. Même si le nouveau masque dont s’affuble le vieux projet de la Carbonite est un peu moins onéreux que le projet d’origine, construire un port à partir de rien est à peu près ce qui se fait de plus cher en terme d’aménagement. Et quand, de surcroît, le site choisi conduit à détruire une ressource potentielle de 172 millions d’euros par an, constituée par l’herbier de posidonies qui subirait les conséquences de ce nouveau port, on mesure l’aberration économique.(1)
Une aberration qui, de plus, ne servira même pas l’emploi durable corse. Car la construction d’un nouveau port sera confiée, fatalement, à un consortium étranger à notre île.
Un désastre écologique
Sommes-nous réellement au XXIe siècle dans ce projet ? On peut en douter. Nommer “éco port” un projet qui conduit à saccager une ressource protégée, les posidonies, à faire disparaître, aussi sûrement que cela a été le cas à Toga, les dernières plages urbaines de Bastia — Ficaghjola et L’arinella—, sans compter le coût environnemental des travaux eux mêmes circulations d’engins, pollutions marines diverses — ressemble plus au double langage auquel nous avait habitué un XXe siècle inconscient des enjeux environnementaux qu’au langage responsable de notre siècle, qui devra bien opter pour le développement durable ou mourir enfoui sous une montagne de déchets.
Car ces projets à la Carbonite sont une double catastrophe écologique. L’aménagement lui même détruira irrémédiablement l’environnement bastiais.
Et la finalité de cet aménagement — ouvrir un boulevard nouveau au tout tourisme — conduira à poursuivre et amplifier les désastres écologiques auxquels on assiste aujourd’hui, à Bavella, à Scandola, aux Lavezzi, sur le GR20 ou dans nos sites de traitement de déchets…
Une « utilité » reposant sur de fausses projections et des hypothèses obsolètes
Mais, nous oppose-t-on, nous n’avons pas le choix ! Il faut un port moderne pour accueillir les nouveaux bateaux, plus grands, qui arrivent. Un nouveau port pour absorber les flux qui iront “forcément” en augmentant. Et ainsi va la vie… Sauf que, non seulement nous avions, dès 2007, dénoncé le caractère erroné de ces projections – aussi précises que fausses -, mais le temps écoulé a apporté la preuve que l’exact contraire se produisait. Le trafic aérien prend le pas sur le maritime et les choix que l’on continue à vouloir imposer s’appuient sur des hypothèses qui non seulement datent, mais se sont avérées – comme nous l’avions annoncé – contredites par une réalité que tout le monde peut constater. (2)
On a beaucoup glosé, au cours de ces derniers mois de crise sanitaire, sur “le monde d’après”. En réalité, des tendances de ce monde d’après se dessinaient déjà avant la crise. Ainsi, Venise en vient petit à petit à refuser les escales des grands croisiéristes. La course au gigantisme des bateaux connaît un sérieux ralentissement, et on voit même ici ou là, renaître le fret à la voile. Et ce serait le moment que choisirait Bastia pour se doter d’un port prioritairement ouvert aux croisiéristes et au mega ferries ? Ajoutons à cela que le modèle de développement lui même mérite d’être reconsidéré. Partout, on réfléchit à une économie plus autocentrée, au développement d’une économie davantage de proximité. Ici même, en Corse, une réflexion s’engage sur l’autosuffisance alimentaire et énergétique. L’utilité d’un mega projet de nouveau port avait été démontrée par des projections dont nous avons toujours contesté la pertinence. Aujourd’hui, elles sont en plus clairement obsolètes. Faire comme si la crise sanitaire n’avait pas eu lieu est irresponsable.
Une seule voie de sagesse
Il ne s’agit bien évidemment pas pour nous de refuser tout changement. Nous affirmons simplement que, encore plus aujourd’hui où s’impose la certitude que le futur ne sera pas un simple prolongement du présent, il nous faut cesser de mettre la charrue avant les bœufs.
La priorité doit être de construire un modèle de développement pour la Corse et pour les Corses. Un modèle qui privilégie l’économie productrice et durable. Un modèle qui prenne en compte les impératifs environnementaux.
Dans ce contexte, la voie de la sagesse, c’est de refuser les projets pharaoniques, et d’opter pour un aménagement du port actuel. Nous en avons proposé une esquisse. Nous sommes prêts à en discuter, et à prendre en compte les suggestions des experts pour améliorer notre projet.
Mais, plus que jamais, nous disons Carbonite innò ! Portu novu innò !
(1) cf conférence de presse de Corsica Libera du 03/10/2014, et documents suivants: -Valeur annuelle moyenne des services fournis par quelques grands types
d’écosystèmes terrestres et marins en G$ (milliards de dollars US). D’après Costanza et al. (1997). -The value of the seagrass Posidonia oceanica: A natural capital
assessment. Paolo Vassallo a, Chiara Paoli a, Alessio Rovere b, Monica Montefalcone a, Carla Morri a, Carlo Nike Bianchi a. (2013). a DISTAV, Dipartimento di Scienze della Terra, dell’Ambiente e della Vita, Genoa University, Italy. b Lamont Doherty Earth Observatory, Columbia University, NY, USA.
Lors de cette conférence de presse nous déclarions notamment : « Dans ces conditions, dépenser 6,5 millions d’euros pour financer des études qui n’apporteront vraisemblablement rien de déterminant par rapport à ce que l’on sait déjà, paraît inconséquent, surtout à un moment où les difficultés budgétaires de la CTC sont connues de tous. La position défendue par le groupe Corsica Libera à l’Assemblée de Corse est donc la seule cohérente à ce jour, et nous sommes persuadés que sur cette question, comme cela a souvent été le cas concernant d’autres dossiers, nos orientations finiront par s’imposer. »
(2) voir nos positions lors du débat public organisé du 6 mars 2007 au 16 mai 2007, réaffirmées et étayées en 2014 (campagne municipale de mars 2014, communiqué du 05/12/2014, pétition en ligne). Ces orientations ont d’ailleurs été rappelées à l’occasion des dernières élections municipales bastiaises en mars dernier.